Conclusion
Le Mouvement du 25 janvier était-il nécessaire ?
Certains cadres et dirigeants historiques de l’UNFP ont coutume, depuis quelques années déjà, de répéter que le Mouvement du 25 janvier 1959 était une erreur, qu’il aurait mieux valu rester au sein du parti, etc. C’est là une lecture de l’histoire fondée sur ce qui aurait pu être, non ce qui fut vraiment. Ceux d’entre les acteurs de l’Intifada qui tiennent de tels propos procèdent, il est vrai, à une sorte d’autocritique, mais c’est à notre sens une autocritique non scientifique et non objective, parce que bâtie sur les conjonctures au lieu de la réalité historique. En retour, ceux qui persistent à maintenir — comme par le passé — que ce Mouvement était une nécessité, voient leur position raffermie, non du simple fait de la vision rétrospective de ce qui a vraiment eu lieu, mais également en regard de ce qui aurait pu advenir, conséquemment à ce qui est advenu.
Nous évoquerons, dans le tome réservé au martyr Mahdi, la conjoncture particulière et la nature des relations et interactions qui, au sein du Parti, devaient conduire à l’Intifada. Quant à ce qui — parmi tant d’autres possibilités — aurait pu advenir, nous le résumerons en ce qui suit :
Un jour de l’année 2000, ayant eu vent d’allégations de ce genre, je confiai à A. Youssoufi :
- Quand je pense à l’Intifada du 25 janvier 1959, je la vois, non de l’œil de ce jour d’aujourd’hui, mais à travers les données qui m’avaient fait croire en ce Mouvement et y adhérer.
- Le Mouvement du 25 janvier, me répondit-il, nous a tout simplement permis, à nous-mêmes autant qu’au Parti de l’Istiqlal, de survivre.
Il n’avait nullement besoin d’aller plus loin. Nous avions tous deux, en effet, vécu et connu ce qui s’était passé…
Cette opinion trouve d’ailleurs sa confirmation dans ce qui advint après le 25 janvier 1959. Avant cette date, l’ennemi à abattre — pour la Troisième force, constituée par Guédira et les autres — était le Parti de l’Istiqlal. Depuis, cet honneur devait revenir à l’UNFP. Les tenants de la Troisième force devaient, en effet, après l’Intifada, changer de position vis-à-vis du Parti de l’Istiqlal : désormais, l’existence de l’Istiqlal et son soutien devenaient une nécessité dans la lutte contre l’UNFP. Le Parti devint ainsi un instrument servant à assener des coups à la résistance, à légitimer la révocation du gouvernement Ibrahim, alors même que ce gouvernement projetait de jeter les fondements de la libération économique, avec les dispositions et décisions adoptées par feu Abderrahim Bouabid et par d’autres responsables patriotes.
Le Parti de l’Istiqlal devenait ainsi une nécessité, non seulement pour s’attaquer à l’union, mais également pour nantir de légitimité nationale une politique antinationale et antidémocratique. Ses dirigeants avaient en effet accepté de siéger au sein d’un gouvernement où le dernier mot revenait à Guédira, le cerveau qui guidait précisément — même durant l’ère de l’indépendance — les efforts de la Troisième force visant à détruire le Parti de l’Istiqlal.
Le Parti de l’Istiqlal doit donc au Mouvement du 25 janvier la chance qu’il a eue d’entamer une nouvelle vie. Cela ne pouvait nullement nuire à l’Union, bien au contraire, le « ralliement » de ce Parti au Pouvoir fut, pour les militants autant que pour les masses populaires, une évidente illustration de l’écart que ce Parti prenait par rapport aux principes qu’il avait lui-même défendus, et pour lesquels ses dirigeants, autant que les masses qui se réclamaient de lui, s’étaient sacrifiés. Le résultat fut que le peuple reporta sur l’UNFP Populaire la sympathie qu’il pouvait encore avoir pour l’Istiqlal, renforçant d’autant l’UNFP et la rendant encore plus apte à faire face à l’attaque dont l’Istiqlal aurait eu à affronter les conséquences si la scission n’avait pas eu lieu. De fait, tel qu’il était avant l’Intifada, le Parti de l’Istiqlal n’aurait certainement pas survécu aux dissensions intestines qui le ravageaient.
Les événements que le Maroc connut avant la scission du 25 janvier 1959 indiquaient clairement que les forces colonialistes et leurs auxiliaires locaux projetaient tous d’éliminer le Parti de l’Istiqlal. Il faut dire qu’ils auraient très bien pu réaliser ce dessein. Souvenons-nous, en effet, de la rébellion de Addi Oubihi, gouverneur du Tafilalet, en 1957, et des événements qui l’avaient suivie, au Rif comme partout ailleurs, quand tous clamaient qu’il fallait mater le Parti de l’Istiqlal. Ainsi, la tempête qui visait le Parti de l’Istiqlal aura été détournée vers l’UNFP, sans toutefois pouvoir causer à cette dernière les pertes qu’elle aurait pu infliger au Parti, qui souffrait d’une chronique et incurable crise interne.
Les événements historiques ne doivent pas être considérés du point de vue de ce qui aurait pu être. Autrement, le calife Uthman ne méritait point la mort horrible qui fut la sienne, pas plus que les protagonistes de Siffine n’auraient dû induire les Musulmans dans une guerre dont les retombées n’ont, à ce jour, fini de se faire sentir.
La seule leçon qu’il sied aujourd’hui de tirer de la scission dont le Parti de l’Istiqlal fut victime en 1959 est peut-être qu’il faut continuer à œuvrer ensemble -en faisant preuve d’abnégation et de bonne volonté- à l’instauration d’une démocratie véritable, à l’intérieur même des deux Partis, comme au sein de la société et de l’Etat marocains.