Le Parti, le Syndicat… et la Zaouïa
1- Politiser les individus, non les syndicats
La question des rapports entre le Parti et le Syndicat est une question qui aura soulevé de longs et chauds débats, débats dont les annales révolutionnaires européennes entre la fin du XIXe siècle et la fin du XXe conservent encore les échos. C’était entre l’époque où les mouvements révolutionnaires et les partis de gauche européens s’étaient attelés à appliquer la théorie marxiste – en tant que théorie révolutionnaire – au système capitaliste pour lui substituer le socialisme et le communisme, et celle où l’on commença à renoncer à ce projet, suite à l’échec de la perestroïka de Gorbatchev, échec qui devait déterminer l’effondrement du Bloc communiste.
Au Maroc, cette question n
’aurait certes pu, du temps du protectorat, se poser dans le même cadre révolutionnaire, l’ennemi de la pensée patriotique étant alors l’occupant, avec tous les appareils qui en dépendaient. Mais elle ne put être évitée au niveau de la mise au point des instruments de la lutte pour l’indépendance, notamment avec l’émergence au sein du Parti de l’Istiqlal, dès la fin des années quarante, d’une classe ouvrière de plus en plus importante.Lorsqu
’il s’agira de varier les instruments de lutte, deux positions se dégageront. Pour l’une, il valait mieux se contenter d’enrôler les ouvriers dans le Parti, et d’attendre l’indépendance pour les doter d’un syndicat. Pour l’autre, il fallait au contraire les encourager à s’enrôler également dans la CGT – organe du Parti communiste français, connu pour ses positions favorables à la cause nationale marocaine – afin de leur donner l’occasion de s’exercer à l’activité syndicale et de prendre ainsi part, en tant que force organisée, à la lutte pour l’indépendance.Dans le quatrième chapitre de son ouvrage Autocritique, le leader Allal Fassi donne son point de vue, autant sur la manière dont les rapports entre le parti et le syndicat devraient normalement se construire, que sur la question de l’enrôlement des ouvriers marocains dans le syndicat français.
Concernant la premi
ère question, il écrit : « Le syndicat doit être au social ce que le parti est au politique. Tout comme le parti établit des liens de solidarité entre ses adhérents qui se partagent un même idéal politique – abstraction faite de leurs croyances religieuses et leur vie sociale – de même le syndicat se doit de tisser des liens similaires entre tous ses affiliés, que réunit le même objectif, celui de défendre la liberté et la dignité de tous les ouvriers, nationaux ou étrangers, toutes tendances politiques confondues. Le travail étant le lien unissant ces affiliés, la tâche du syndicat doit se limiter à défendre les acquis et la dignité de l’ouvrier. Faire du syndicat l’instrument de défense d’une telle ou telle idéologie politique, c’est le détourner du champ de l’action syndicale pour lui faire intégrer la sphère de l’action politique. Or, les ouvriers n’étant évidemment pas tous de même tendance idéologique, un tel amalgame ne saurait qu’être une source de discorde et de scission au sein du syndicat, aux dépens des intérêts de la corporation comme des ouvriers. Ce sont ces mêmes données qui avaient justement conduit Lénine à reconsidérer sa position concernant la nécessité de rattacher les centrales syndicales au Parti communiste lui-même. (…) Quel est le meilleur moyen, pour un parti politique, de conserver son influence morale auprès des ouvriers qui y sont affiliés, et de les dissuader de prendre une orientation politique contraire aux principes qu’ils défendent tous ? La réponse est toute simple : il lui suffit de prendre la défense de leurs intérêts, en suivant en cela l’évolution des expériences syndicales elles-mêmes. Ce faisant, il doit s’efforcer de donner à ses partisans une éducation sociale et idéologique adéquate, de rester en contact permanent avec le public à l’intérieur comme à l’extérieur du syndicat, et de politiser les individus, non les syndicats. »Concernant le second point
: « La répartition des secteurs d’action entre le Parti et le syndicat, tout autant que la possibilité pour chacun d’eux de mettre à profit les expériences de l’autre, favorise la pérennité des liens moraux qui les rattachent, sans pour autant leur imposer une unicité d’horizon qui ne pourrait que semer la discorde parmi les ouvriers. Parti et syndicat n’étant, l’un et l’autre, que des instruments modernes de l’action politique, il est du devoir de chacune des deux institutions de veiller à ne pas empiéter sur les compétences de l’autre, et d’œuvrer à la défense des intérêts suprêmes de la nation. C’est uniquement de cette manière que le syndicat peut prendre part à la lutte nationale, sans se voir pour cela accuser de partialité politique, et qu’un parti patriotique peut œuvrer en faveur du syndicat, sans avoir pour autant à prendre position pour telle ou telle classe sociale. La libération nationale est la cause de tous et de chacun. »De toute évidence, la pensée du Leader s’inscrit dans le cadre du Mouvement national réunissant – ou, du moins, aspirant à réunir – tous les Marocains dans la poursuite de l’objectif indiscutablement prioritaire, celui de l’indépendance. L’ennemi de tous et de chacun est la présence coloniale entière, ce qui inclut toutes les ramifications de cette présence, tels les tenants des intérêts capitalistes, mais également les syndicats français, qui ne militaient pas contre le colonialisme en tant que soi, mais uniquement contre l’exploitation à laquelle les employeurs soumettaient leurs ouvriers. Il n’est d’aucune utilité pour les ouvriers marocains de s’affilier aux syndicats français, y compris la CGT communiste, car « les syndicalistes des colonies ne sont guère différents des autres colons ». D’abord, parce qu’ils font partie d’un système économique colonialiste ; ensuite, parce qu’ils acceptent la discrimination de salaire établie par le colonialisme entre ouvriers européens et ouvriers marocains. De là la nécessité de créer un syndicat national auquel les ouvriers nationaux pourraient s’affilier. Or, les autorités coloniales interdisant la création d’un tel syndicat, il est entendu que cela ne pourra se faire qu’une fois le pays libéré de la présence de l’occupant. En attendant, il faut se contenter de politiser les individus, qu’ils soient issus de la classe ouvrière ou de toute autre classe sociale.
Ce principe consistant à politiser les individus au lieu des syndicats – du reste généralement présent dans la pensée de Allal Fassi, comme le montrent ces passages de son œuvre – ne sera paradoxalement pas respecté après 1959, quand le Parti de l’Istiqlal, en réaction à la scission qui était intervenue dans ses rangs, provoquera une scission parallèle au niveau du syndicat en créant l’UGTM. Le principe prôné par Fassi était ainsi bafoué, interverti, sous ses yeux et en sa présence : en fait d’individus, c’étaient les syndicats qui se trouvaient de la sorte rattachés au Parti.
Ce retournement d
’opinion au passage de l’ère coloniale à celle de l’indépendance n’était pas, il faut le dire, l’apanage du seul Allal. Ceux qui s’étaient opposés à lui en feront de même, comme nous le verrons plus loin.2- Formation syndicale et initiation à l’action ouvrière
Durant le protectorat, la direction de l’Istiqlal adoptera donc le point de vue de Allal Fassi, opposé à celui qui s’était développé parmi les ouvriers au sein même du Parti, et que soutenaient d’autres personnalités dirigeantes au niveau des bases, notamment Abdallah Ibrahim, dont nous rapportons encore une fois le témoignage déjà reproduit dans le premier numéro de cette série : « Ce différend date d’assez longtemps. Nous devons rappeler à ce propos un fait qui revêt à nos yeux une importance capitale. En 1950, alors que j’étais chargé des Affaires syndicales au sein du Parti de l’Istiqlal, une affaire importante vint à être débattue. De nombreux ouvriers s’étaient en effet affiliés à des centrales syndicales ; or, ce droit d’affiliation était dénié aux Marocains, dont seule la CGT s’aventurait à accepter l’adhésion. La question était de savoir si nous devions exhorter les adhérents de notre Parti à s’y affilier – afin de les faire profiter d’une formation syndicale et s’exercer à l’action militante, en attendant qu’il soit possible de constituer un syndicat marocain légal – ou s’il était préférable de s’abstenir, afin d’éviter à nos militants de tomber sous l’influence des idées communistes. Je fus, avec quelques amis, partisan de la première solution, à laquelle s’opposaient les dirigeants du Parti. Ainsi naquit le différend. Les événements du 8 décembre 1952 devaient prouver la pertinence de notre point de vue, tout comme ceux des Carrières centrales devaient démontrer l’unité existant entre les causes ouvrière et nationale, et établir que les objectifs de l’élite sont les mêmes que ceux des classes laborieuses. Je me rappelle que d’entendre les ordres émanant – à l’époque – des dirigeants du Parti, me confirmait le bien-fondé de notre position. Lors des réunions tenues avec les adhérents du Parti à tous les niveaux, ces dirigeants ne trouvaient mieux à dire que d’évoquer les gloires de notre pays du temps des Almohades ou des Saadiens, ou de sermonner les gens, sans rien faire pour les préparer à une lutte réelle et positive. De cela, nous eûmes la preuve irréfutable en 1954, quand, libérés après le rappel du général Guillaume, ancien Résident général du gouvernement français au Maroc, nous devions constater le profond mécontentement que créaient chez les adhérents du Parti la flagrante incompétence de ses dirigeants et leur incapacité – quand survint l’exil du roi – à œuvrer selon les intérêts du pays, en déclenchant la lutte directe. Quiconque s’obstine à nager à contre-courant de la révolution, se verra dépasser par les masses populaires. C’est exactement ce qui advint dans ce cas de figure. »
L’on ne peut que relever que le même retournement d’opinion que nous constations chez leader Allal Fassi affectera également le point de vue du militant Ibrahim. La crise du rapport entre le syndicat et le Parti au sein de l’UNFP – nous y reviendrons plus en détail – se déclenchera justement à propos de ce point précis. Se posant comme les seuls représentants syndicaux et politiques de la classe ouvrière – sens que du reste ils donnaient à l’indépendance du syndicat – les leaders de l’UMT s’opposeront en effet à l’enrôlement des ouvriers dans le Parti. Ibrahim prendra la défense de cette devise syndicale, qui se traduira par l’expression politique du pain, devenue dès lors célèbre, par opposition au point de vue prônant la nécessité de rattacher la lutte de la classe ouvrière à celle menée pour la démocratie et contre le despotisme, le féodalisme et l’exploitation, sachant que, comme l’avait justement dit le militant Ibrahim, quiconque s’obstine à nager à contre-courant de la révolution, se verra dépasser par les masses populaires. C’est d’ailleurs exactement ce qui advint dans ce cas de figure.
3- La zaouïa et la taïfa, à l’origine du rassemblement, du parti… et même du syndicat !
Mais pour saisir dans sa vraie dimension le rapport du Parti au syndicat dans la pensée nationale marocaine, il faut revenir un peu plus en arrière, étant donné que les concepts mêmes de parti et de syndicat relèvent de la pensée européenne qui avait reflété, accompagné et orienté l’évolution de l’Europe depuis la Révolution industrielle. La question à laquelle il siérait de répondre, avant d’aborder ce que nous nommons la crise du rapport entre le Parti et le syndicat, est donc la suivante : comment les pionniers de l’action nationale dans note pays ont-ils réussi à transposer ces deux concepts dans un Maroc où les conditions étaient radicalement différentes de celles de l’Europe de la révolution industrielle et de la bourgeoisie ? Autrement dit, comment ont-ils réussi à acclimater ces deux concepts?
Par ailleurs, l
’organisation syndicale qui vit le jour au lendemain de l’indépendance, en tant que force opposée au Parti, sortait des entrailles mêmes de ce dernier. Tous deux ont donc une seule et même origine : parti et syndicat ont été bâtis sur le même modèle.A ce propos, nul besoin de chercher bien loin : feu Mohamed Hassan Ouazzani nous en épargne la peine. Dans les mémoires de cet autre leader national, on peut en effet lire que le Mouvement national au Maroc naquit du fameux mouvement de al-Latif : « Le mouvement de al-Latif, qui eut lieu en protestation contre le dahir berbère promulgué par les autorités de l’occupation le 16 mai 1930, n’était point initié par quelque organisation ou institution, mais bien une action spontanée déclenchée par des membres de l’élite nationale à Salé, Rabat, Fès, Casablanca, Marrakech et en d’autres villes ». Ouazzani précise qu’à Fès le mouvement avait évolué pour se transformer en une sorte de « cellule secrète », constituée d’éléments « pénétrés du sens patriotique », issus du mouvement al-Latif, qui avaient convenu en secret de « donner le nom de zaouïa à leur cellule, et celui de taïfa (communauté) à l’ensemble des membres actifs de al-Latif ne faisant pas partie de ladite cellule. (…) C’est ainsi que la zaouïa devint une sorte de poste de commandement, duquel dépendait la taïfa, groupe limité de partisans et d’exécutants, résidant pour la plupart à Fès, Rabat, Salé, Kenitra, Casablanca, Marrakech, Safi, Tanger et Tétouan. »
Ouazzani, futur leader du PDI, nous fournit les noms des membres de la fameuse zaouïa, qu’il nomme également Comité central restreint : Hamza Tahiri, Larbi Bouayad, Ahmed Bouayad, Haj Ghali Sebti, Driss Berrada, alias Lakdar, le notable Ahmed Mekouar, Abdelkader Tazi, Mohamed Sebti, Omar Sebti, Hassan Bouayad, Omar Benabdeljalil, Allal Fassi et Mohamed Hassan Ouazzani, ces derniers représentant la jeunesse patriote. Plus tard, entre 1930 et 1934, seront intégrés au sein de la zaouïa : de Tétouan, Abdessalam Bennouna, Mohamed Daoud et Ahmed Ghaïlane ; de Kenitra, Mohamed Diouri ; de Rabat, Mohamed Yazidi, Ahmed Balafrej et Ahmed Cherkaoui ; enfin, de Fès, Abdelaziz Bendriss, Hachmi Filali et Bouchta Jamaï.
« Il est certain, ajoute Ouazzani, que la zaouïa était une sorte de mosaïque hétéroclite composée de personnes de tous âges : des vieux et des moins vieux, que réunissaient des liens personnels, commerciaux ou familiaux, et auxquels nous autres jeunes étions liés par les seuls impératifs de l’action nationale. La zaouïa n’en restait pas moins cette sorte de poste de commandement politique, et la taïfa une armée docile en ses mains, et ce à l’insu des membres de cette dernière, qui croyaient former l’organisation principale. Il faut dire que nombre d’entre eux étaient des patriotes sincères et actifs, qui auraient bien été à leur place au sein de la zaouïa, mais qui en furent écartés pour des raisons uniquement personnelles. En effet, les membres de la zaouïa, jeunes théologiens pour la plupart, voyaient d’un mauvais œil toute intégration, dans le cercle restreint de leur organisation, d’éléments dont ils auraient eu à redouter la concurrence. Par un jeu d’intrigues et de manœuvres qu’aiguillonnaient jalousie et émulation, des éléments sincères, formant une élite patriote cultivée, auront ainsi été écartés du cercle de la zaouïa. »
Mais pourquoi ces pionniers de l’action nationale – qui pourtant se réclamaient de la mouvance salafite rénovatrice et moderniste – avaient-ils opté pour des dénominations relevant plutôt du champ du soufisme ? Feu Ouazzani en fournit deux explications, une externe et une interne : « Vis-à-vis de l’extérieur, dit-il, ce choix s’explique par le soin de donner le change aux autorités de l’occupation, qui n’auraient évidemment jamais permis qu’un groupe à caractère politique prît forme. »
Puis il en arrive à la raison interne : « Par ailleurs, les éléments du groupe étaient, pour la plupart, encore sous l’influence des zaouïas, à qui l’éducation même que ces éléments avaient reçue conférait – dans le subconscient des vieux et des moins vieux, et même de certains jeunes – un statut privilégié. (…) La zaouïa conservait certes sa prédominance sur la taïfa, à l’insu même des membres de celle-ci, qui ignoraient souvent jusqu’à son existence en tant que cellule dirigeante. (…) Ce faisant, elle ne pouvait manquer de s’aliéner les éléments du grand groupe national qui, ayant fini par découvrir la réalité, rechignaient à être ainsi traités en simples auxiliaires, masse neutre que l’on traîne derrière soi tout en n’hésitant pas, dès la première difficulté, à la présenter au danger. L’opposition prendra parfois les allures de la franche dissidence, voire de la scission pure et simple. Malheureusement, au lieu d’agir dans le sens qui aurait servi l’intérêt national, les membres de la zaouïa mettront en œuvre intrigues et machinations sans autre but que de maintenir le statu quo. »
Ces lignes étant rédigées à une époque relativement tardive, le lecteur y aura décelé des relents du différend qui avait éclaté entre leur auteur et Allal Fassi, suite à l’élection, en 1937, de ce dernier à la tête du Parti national, honneur qui du point de vue de Ouazzani devait lui revenir à lui, le lauréat d’un illustre institut français de sciences politiques, plutôt qu’à Fassi, formé seulement à l’université locale de al-Qaraouiyine. Cet argument de modernité avancé par feu Ouazzani ne se reflétait par ailleurs nullement dans la manière dont il allait diriger son propre parti, et qui, à en croire ses amis, rappelait plutôt celle d’un maître de zaouïa, et même la rappelait doublement, reflet conjugué des deux zaouïas : celle nationale et celle, encore plus archaïque, du clan Ouazzani.
En tout état de cause, l’adoption du modèle de la zaouïa et de la taïfa pour la structuration du Bloc d’Action marocaine – et, par la suite, pour celle des partis politiques au Maroc, l’Istiqlal comme le PDI – est bien l’une des rares choses qui auront fait l’unanimité des différentes composantes du Mouvement national marocain.
Le lecteur conviendra sans doute de ce qu’il est nécessaire de se représenter cette donnée fondatrice historique, si l’on veut comprendre la crise interne qui allait secouer le Parti de l’Istiqlal durant les premières années de l’indépendance, aboutissant au Mouvement du 25 janvier 1959. Les personnes citées par feu Ouazzani comme ayant formé le premier noyau de la zaouïa, seront les mêmes – à deux ou trois personnes près, dont Ouazzani lui même – que l’on retrouvera à la tête du Parti de l’Istiqlal, et ce jusqu’après l’indépendance, en tant que membres officiels du Comité exécutif ou comme personnalités influentes, exerçant leur ascendant grâce à un jeu de sympathies, de parenté ou de fortune (certains, devenus de grands commerçants de Derb Omar, participaient au financement du Parti, et y jouissaient en retour d’une large influence). Le différend qui naquit à cause de l’obstination du Comité exécutif à faire valoir son droit de nommer cent participants au Congrès qui devait avoir lieu le 11 janvier 1959, s’explique d’ailleurs par le fait que les uns tenaient à y faire participer les membres de la zaouïa fondatrice, quand d’autres – les opposants, issus de la nouvelle génération – voulaient justement libérer le Parti de l’emprise de cette même zaouïa.
Comme nous le verrons plus loin, c’est encore à un autre type de zaouïa que l’on devra la crise qui sévira au sein de l’UNFP dès le 25 janvier 1959, et qui aboutira, le 30 juillet 1972, à la rupture finale entre le Parti et l’organe syndical.
Mais pour mieux comprendre ce nouveau genre de zaouïa, il sied d’expliciter les circonstances dans lesquelles naquit la zaouïa syndicale.
4- La zaouïa et la société civile dans le Maroc indépendant
Les débuts de l’organisation syndicale au Maroc remontent au milieu du XXe. Siècle. En raison de l’interdiction décrétée par les autorités de l’occupation, qui déniaient aux Marocains le droit à une telle organisation, le mouvement agira d’abord en tant que formation secrète au sein de l’Istiqlal – comme ce sera d’ailleurs le cas de la Résistance elle-même un peu plus tard. Parmi les cadres du Parti qui dirigeaient cette formation, Ibrahim Roudani, Abderrahmane Youssoufi – qui devaient intégrer plus tard les rangs de la Résistance – Abdallah Ibrahim, Tayeb Bouazza, Mahjoub Benseddiq, ainsi que d’autres, qui poursuivront leur action parmi le corps ouvrier en tant qu’acteurs au sein du Parti.
Quand le gouvernement français consentit enfin à négocier avec les Marocains et les Tunisiens les conditions de l’indépendance, cela se refléta immédiatement sur le comportement des autorités de l’occupation au Maroc, qui entreprirent, dès octobre 1954, de relâcher et d’amnistier l’un après l’autre les leaders et cadres politiques de l’Istiqlal jusque-là incarcérés ou contraints à l’exil. Aussitôt libérés ou rentrés au pays, ces derniers s’empressent de constituer un Comité d’Organisation qui, le 5 janvier 1955, publie un communiqué annonçant la création imminente d’une organisation syndicale nationale. Le résultat sera une ruée à l’adhésion à l’Istiqlal et au nouveau syndicat, et une prolifération sans précédent des groupuscules de résistance. Parti, syndicat et corps de la Résistance auront ainsi tous, en cette année 1955, vu leurs rangs grossir pour atteindre des effectifs encore jamais égalés. A l’annonce des négociations d’Aix-les-Bains, le Comité d’Organisation conviera un Congrès fondateur, qui se réunira dans des conditions entachées pour le moins d’improvisation hâtive, et dont naîtra une centrale syndicale portant le nom de l’Union Marocaine du Travail. Cela se passait le 20 mars 1955, dans l’un des quartiers de Bouchentouf, non loin de l’avenue Suez, bastion de la Résistance, rebaptisée avenue al-Fida à l’avènement de l’indépendance.
Pour avoir été reconnue par les autorités coloniales dès avant la proclamation de l’indépendance, cette centrale pourra, au même titre que la Résistance, suppléer l’administration française – quand celle-ci aura déserté les quartiers populaires – en assurant les affaires courantes, tels le règlement des différends entre les citoyens ou encore l’organisation de la circulation. Il en résultera la formation, au sein du Syndicat comme de la Résistance, de confréries, se muant chacune peu à peu en zaouïa, avec un maître et des disciples. A l’avènement de l’indépendance, elles se transformeront, chacune selon sa propre orientation, en associées de l’Etat marocain indépendant, lui-même structuré à la façon d’une zaouïa majeure ! La société marocaine devenait ainsi un ensemble de zaouïas, édifices pyramidaux à la tête de chacun desquels trônait un maître, entouré d’un groupe de disciples traînant dans leur sillage une masse de partisans et de sympathisants…
C’est la société civile que le Maroc aura vue naître à l’avènement de l’indépendance. La démocratie étant ajournée à tous les niveaux – nous l’explicitions dans le volume précédent – le champ s’ouvrait à des rapports pour le moins non objectifs, parce que fondés non sur l’élection et de l’esprit contractuel, mais sur le clientélisme et la sujétion. Ce même genre de rapports subsiste aujourd’hui encore, non seulement chez les organisations fondamentalistes, sectaires ou même factices, mais également au sein de la majorité – pour ne pas dire la totalité – des formations se disant progressistes, autant celles dépendant des partis que celles se réclamant des syndicats. Nous aurons à revenir, dans ce même volume, sur l’âpre lutte que certaines d’entre ces organisations auront menée, un demi siècle durant, pour la démocratie et contre la zaouïa, aussi bien politique que syndicale – événements et circonstances qui seraient du reste trop longs à détailler.
5- La politique d’associer aux honneurs de l’opposition les prérogatives du pouvoir
Comme nous le disions plus haut, la centrale syndicale qui naquit des entrailles de l’Istiqlal vit le jour lors de la période transitoire, durant laquelle la poigne de la présence française au Maroc devait marquer un certain relâchement, suite à l’annonce de la décision prise par le gouvernement français d’engager les négociations avec les Marocains, dans la perspective de rendre son indépendance au Maroc. Comme nous le précisions également, le vide créé par ce relâchement allait être aussitôt comblé par le Syndicat et la Résistance. Il importe ici de souligner la façon dont la centrale syndicale devait évoluer, passant de l’état de l’organisation ayant pallié un vide administratif au niveau des bases, à celui de l’organisme puissant, aux ramifications multiples se propageant – tels les tentacules d’une pieuvre géante – dans le corps de l’Etat et de la société, oeuvrant à la sauvegarde de ses propres intérêts, et se façonnant selon le fameux modèle de la zaouïa.
De fait, les dirigeants de l’UMT se comporteront, dès la fondation de cette centrale, en véritables maîtres de zaouïa, non seulement vis-à-vis des patrons – en nommant et révoquant, et en percevant tributs et pots de vin – mais également à l’égard de nombreuses administrations de l’Etat, à tel point qu’il finit par étendre son hégémonie à la plupart des secteurs publics, s’imposant en tant qu’intermédiaire incontournable entre les masses ouvrières et le patronat, comme entre les fonctionnaires et les administrations dont ils relevaient. En un mot, l’UMT devenait un véritable organisme de l’Etat, qui opérait au nom de ce dernier, mais pour servir et préserver ses propres intérêts en tant qu’organisme indépendant, bénéficiant des mises à disposition, et recevant dons et aides, dans le plus strict respect de la tradition des zaouïas. La Centrale, qui disposait par ailleurs d’un temps d’antenne sur la radio nationale – sous forme de l’émission matinale la voix de l’Union, qui permettait de s’adresser aux ouvriers et d’exposer leurs problèmes, tout en servant d’organe de propagande pour l’Organisation de la Classe ouvrière et sa filière, la Jeunesse ouvrière – avait également voix au chapitre dans le domaine politique en tant que composante incontournable, que l’on consultait pour la constitution des cabinets gouvernementaux, et qui disposait, au sein du Conseil consultatif, d’autant de représentants (dix) que l’Istiqlal lui-même. Des représentants de la Centrale faisaient en outre partie de nombre de délégations officielles se rendant à l’étranger ; ses invités étaient traités en hôtes officiels de l’Etat, et feu Mohamed V présidait aux festivités annuelles du 1er mai, et donnait un discours à l’occasion.
L’organisation syndicale prenait ainsi les allures d’une véritable école soufie, jouissant de renommée et d’influence, détenant intérêts et possessions, recevant dons et hôtes, intervenant pour résoudre différends et problèmes, et structurée en pyramide à la tête de laquelle trône une zaouïa au sens politique que nous venons d’expliciter.
Les choses étant considérées de ce point de vue, le véritable motif de l’action que les leaders de l’organisation syndicale entreprendront plus tard en prenant la tête des opposants au Comité exécutif au sein de l’Istiqlal à la veille de la scission, apparaît comme n’étant pas, ou du moins pas uniquement, la question de la démocratie, mais aussi, voire surtout, le désir d’indépendance. Une nouvelle zaouïa était née au sein de l’ancienne : il était naturel que le Syndicat voulût se séparer d’avec le Parti.
La lutte pour l’indépendance ayant pris fin, les intérêts – entendre le partage du butin de l’indépendance – devenaient le moteur de celle qui s’amorçait. Les vieilles zaouïas devant faire bientôt l’objet de campagnes visant à les mater, comme nous l’explicitions dans le numéro précédent, la zaouïa naissante était en droit de chercher à éviter les retombées de ces campagnes qui menaçaient, non seulement de toucher la centrale syndicale en tant qu’organisation, mais aussi, et surtout, d’entamer les privilèges que l’organe dirigeant au sein de la centrale avait pu acquérir, et qui avaient fini par faire de lui un véritable pupille de l’Etat.
Il est un autre facteur, antérieur aux privilèges, se rapportant au Congrès fondateur de l’UMT lui-même. Le Congrès avait en effet élu comme Secrétaire général Tayeb Bouazza, non Mahjoub Benseddiq. Mais ce dernier, se considérant plus digne de cet honneur, s’y était opposé. Menaçant de créer un nouveau syndicat s’il ne devait pas prendre la tête de celui-ci, il avait argué de ce que Bouazza risquait de se montrer sensible à l’influence de l’Istiqlal, et ne pouvait donc se porter garant de l’indépendance de l’organisation. Après force entremises et manœuvres, Bouazza, convaincu par ailleurs d’accointances inadmissibles avec une personnalité haut placée, avait fini par céder.
Il est certain que cette faiblesse originelle, née du fait qu’il n’avait pas été élu, mais s’était imposé comme leader de son organisation, explique pour une grande part la crainte de Benseddiq de perdre ce poste lors de quelque nouveau Congrès. C’est pourquoi il prendra soin de façonner l’organe dirigeant de cette organisation de manière à le maintenir continuellement sous son contrôle, tout en utilisant adroitement, pour s’en assurer la loyauté, les prérogatives généreuses accordées par l’Etat. Mais pour que la source de ces privilèges ne vînt point à tarir, il fallait composer avec le pouvoir en adoptant la confortable politique de l’attentisme. C’est ainsi que l’organisation syndicale devint, non plus un moyen, mais un but en soi. Pour lui conserver l’apparence du moyen de pression qu’elle devait être, on prendra toutefois soin de se montrer, de temps à autre, quelque peu « intransigeant » à l’égard des adversaires de la classe ouvrière, rôle que l’on incarnera quelquefois même avec une verve frôlant la franche « insolence », pour se faire ensuite rudement rabrouer. Mais quoi qu’il en fût, la zaouïa de l’UMT aura réussi – le plus souvent avec une grande habileté – à réunir aux honneurs de l’opposition les prérogatives du pouvoir…
6- Un étranger, considéré comme l’autre partie et devant rester autre
Ce d
ésir de réunir honneurs et prérogatives sera à l’origine de la tension qui, dès le soulèvement du 25 janvier, marquera les rapports entre le Parti et le syndicat. Pour nous – membres des Fédérations Unies et cadres politiques au sein de l’UNFP, qui considérions le syndicat comme le fer de lance dans la lutte que nous menions pour « l’édification d’une société nouvelle » – il apparaissait nettement que l’appareil syndical était loin de partager cette conception unioniste. Bien au contraire, s’estimant étranger au corps du Parti, il interdisait même toute activité politique dans les milieux ouvriers. On eût dit qu’il agissait en ayant continuellement en mémoire les circonstances de sa propre naissance. Sorti en tant que formation syndicale des entrailles du Parti, pour se poser aussitôt en adversaire de ce même Parti, il n’allait tout de même pas permettre qu’une formation politique prît forme en son propre sein pour lui jouer le même tour ! Telle une éternelle damnation, l’absence originelle de démocratie est un malheur qui ne cesse de se renouveler…C
’est là une amère réalité que j’ai personnellement pu percevoir au niveau de la presse du Parti, et ce dès les débuts du Mouvement du 25 janvier. Ne disposant pas encore d’un journal propre, la direction du Mouvement m’avait en effet délégué auprès du quotidien al-Taliaa, organe de l’UMT, afin de couvrir les développements de l’Intifada. Le responsable du quotidien était certes un homme affable et bienveillant ; je n’en avais pas moins la nette impression que l’on me regardait en intrus indésirable – non en tant que personne, il est vrai, mais comme le représentant de l’autre partie, qui devait rester tel et être traité en conséquence.Un tel rapport entre ce moi et son alter ego
– au sein d’une organisation voulant se placer en nouveau moi, patriote et progressiste, par opposition à l’autre, jugé vieux et dépassé – conduit à poser la question suivante : dans quelle mesure l’UMT a-t-elle pu réaliser en son propre sein l’unité politique, bâtie sur des relations objectives, et sur l’attachement aux finalités définies par son Congrès fondateur ?Question
à laquelle le sous-chapitre suivant se propose d’apporter un élément de réponse.Le Parti et le syndicat, de la cohabitation tol
érante à la franche hostilitéLes rapports entre le Parti et le Syndicat traverseront deux p
ériodes distinctes. Durant les mois qui suivirent le 25 janvier 1959, l’heure aura en effet été à la cohabitation et à l’intégration réciproque entre les différentes forces constituant l’UNFP. La révocation du gouvernement Ibrahim, survenue le 20 mai 1960, sonnera le glas de cette lune de miel de dix-sept mois à peine. Dès lors, et durant onze longues années, le Parti sera contraint de mener une âpre lutte contre l’appareil syndical.Mais cette seconde p
ériode étant l’objet même du présent numéro, nous nous limiterons dans ce préambule à donner un bref aperçu de la première, qui aura à juste titre constitué le summum de l’activité politique dans toute l’histoire de l’UNFP.En se constituant, suite
à l’Intifada du 25 janvier 1959, l’UNFP évoquait plutôt une fédération réunissant trois catégories de gens, entendre trois groupes distincts de militants, marqués chacun par des caractéristiques tout aussi distinctes, ayant trait à la mentalité, au comportement, au niveau intellectuel et à l’origine sociale : les Résistants, les syndicalistes, et les cadres et masses populaires du Parti, issues de l’Istiqlal et de ses luttes intestines. Durant cette période, deux facteurs déterminants auront considérablement contribué à instaurer un climat d’interaction et de coopération parmi les trois catégories en présence.Le premier est d
’ordre organisationnel. L’UNFP avait en effet adopté, à ce stade de la lutte, la méthode des meetings périodiques, organisés dans les locaux du Parti au niveau des sections locales : méthode qui, pour présenter d’incontestables avantages, n’en recelait pas moins d’évidents inconvénients.Concernant les avantages, il faut dire que ces r
éunions – qui étaient autant d’occasions de rencontre entre les militants du Parti, toutes catégories confondues, ce qui ne pouvait manquer de faciliter les contacts et de rendre possible la cohabitation – permettaient d’élargir le champ de l’initiation politique en mettant en œuvre un nombre réduit de cadres, à un moment où l’UNFP, encore en phase de fondation, ne pouvait en aligner que bien peu qui eussent été capables d’assumer cette tâche. De plus, les débats qui opposaient, durant ces réunions, des personnes relevant de catégories différentes, représentaient en soi – élément déterminant – une précieuse initiation en matière d’écoute et de gestion des divergences.Un autre avantage de ces r
éunions est le rôle décisif qu’elles auront joué dans la préparation des élections communales, dont l’organisation constituait une des tâches primordiales du cabinet Ibrahim. Les leaders de l’Intifada, mouvement né un mois après l’investiture du cabinet, ne pouvaient en effet négliger de prendre en ligne de compte ces élections, dont la date était connue avant ladite investiture. Aussi, ces réunions tenues dans les locaux de l’UNFP au niveau des sections locales – qui correspondaient plus ou moins au découpage des cercles communaux – seront-elles autant de rencontres préparatoires des élections imminentes. Le Parti devra d’ailleurs à ce type d’organisation, bâtie sur les meetings, la victoire qu’il y remportera malgré la violente campagne de répression dont sa presse fera l’objet – campagne qui devait culminer avec l’arrestation du directeur et du Rédacteur en chef de al-Tahrir, les deux étant bien évidemment des leaders du Parti – et malgré l’absence de Mahdi, contraint à l’exil, et de la plupart des cadres du Parti, poursuivis pour « conspiration contre le Prince héritier. » Même la révocation du cabinet Ibrahim, une semaine seulement avant les élections, n’y changera rien : grâce aux meetings tenus au niveau des sections locales, la victoire de l’UNFP sera éclatante, tant à l’issue des élections communales que lors de celles, organisées un peu plus tôt en cette même année 1960, au sein des Chambres du Commerce et de l’Industrie.Cela dit, ces meetings, nous le disions plus haut, n
’étaient pas sans présenter des inconvénients, tant au niveau de la pratique quotidienne qu’à celui de ce que l’organisation du Parti devrait être, selon la conception alors largement répandue, pour laquelle le Parti était une organisation politique ayant pour but de bâtir une nouvelle société, d’apporter le changement – révolutionnaire s’entend – politique, économique et social.Concernant le premier niveau, celui de la pratique quotidienne, l
’inconvénient majeur que présentaient les meetings locaux résidait en l’habitude qu’avaient les anciens militants, issus de l’Istiqlal, d’accaparer la présidence comme la gestion des réunions, refusant résolument de renoncer aux postes qu’ils avaient acquis en leur qualité de membres fondateurs, ou auxquels ils avaient accédé grâce à des élections contrôlées. Cette attitude avait évidemment de quoi rebuter les nouveaux adhérents, notamment les plus jeunes, qui estimaient être mieux à même de prendre en charge les postes de responsabilité, ce qui n’était pas tout à fait faux, étant donné qu’ils étaient instruits, qualité dont de nombreux membres de la vieille garde n’auraient pu se prévaloir. Plus encore, cette attitude négative pourrait même expliquer le fait que des militants issus d’autres partis – tel notamment le PDI – prendront, assez tôt, et de manière pratiquement collective, la décision de quitter les rangs de l’UNFP. Durant les meetings, ils se trouvaient en effet en minorité, perdus dans un océan de militants issus pour la plupart de l’Istiqlal et de l’UMT.Quant
à l’autre inconvénient de cette organisation bâtie sur les meetings locaux, il réside dans l’esprit de concurrence qui n’allait pas tarder à se créer entre les militants relevant du Parti et ceux se réclamant du Syndicat. La course aux sièges de présidence des sections locales, comme à ceux des élections communales, les opposera les uns aux autres, dans un antagonisme frôlant la franche hostilité, qui sera d’ailleurs fatal à ce genre d’organisation. Les choses empireront lorsque l’appareil syndical se mettra à saper délibérément les activités du Parti au sein des sections locales.Nous en arrivons au second facteur ayant aid
é à instaurer un climat d’interaction et de coopération entre les trois catégories constituant l’UNFP naissante : la répression.Nous disions, dans un autre contexte, que pour les adversaires de l
’Istiqlal, le mouvement du 25 janvier avait d’abord été perçu comme une scission devant conduire à l’affaiblissement du Parti, étape vers son anéantissement. Mais dès qu’ils s’aperçurent qu’il s’agissait là d’un soulèvement visant au contraire à régénérer le Parti et à dépasser la crise qui y sévissait, ils adoptèrent une position de franche hostilité vis-à-vis de ce turbulent nouveau-né qui, en évoluant de l’état des Fédérations Unies à celui de l’Union Nationale, leur prouvait la fausseté de leurs premiers pronostics, nés de simples désirs plutôt que bâtis sur une analyse objective de la situation. Il fallait donc monter une attaque contre les forces constituant l’UNFP, attaque dont le corps des Résistants allait être la première victime, comme nous le signalions dans le second numéro de cette série.Comme nous le pr
écisions également, la campagne de répression – qui touchera al-Tahrir, ses directeur et Rédacteur en chef, puis l’ensemble des Résistants et des militants et sympathisants de l’UNFP – aboutira à des résultats contraires à ceux escomptés par ses instigateurs. Al-Raï al-Am ayant remplacé al-Tahrir, rien ne changera au niveau de la presse du Parti, dont la forme comme le contenu restaient les mêmes. Quant aux masses populaires, elles réagiront en se mobilisant pour faire face à la répression.En d
éfinitive, la campagne, lancée dans le dessein de dévaster l’UNFP, aboutira au contraire à l’instauration, parmi les différentes composantes du Parti, d’un climat de solidarité et d’harmonie qui n’aurait certainement pu être seulement envisageable si elle n’avait eu lieu. Plus encore, elle permettra de confondre les éléments arrivistes et autres provocateurs liés à l’appareil syndical, qui pour échapper à la répression choisiront de se retirer en attendant que la tempête passe.Ce sera ensuite au tour de l
’UMT de faire l’objet d’une campagne systématique visant à miner l’unité du syndicat. Les dirigeants, la presse et les masses de UNFP réagiront en se solidarisant avec la centrale de la classe ouvrière. Par ailleurs, la création d’une organisation syndicale rivale, destinée à faire pendant à l’UMT, poussera les dirigeants de cette dernière à adopter la fameuse politique du pain, par crainte de perdre les non moins fameux privilèges, ceux-là mêmes qui avaient déterminé chez eux cette vision faisant du syndicat une fin au lieu du moyen qu’il aurait dû être. Ce sera l’annonce d’une nouvelle phase dans les rapports entre le Parti et le syndicat, celle de la crise interne qui, comme nous allons le voir, sévira onze années durant.