Second Congrès : Congrès de crise !
Un succès qui voilait un échec
1- Compromis avec l’appareil syndical… et occultation du rapport de Mahdi
Un Congrès convoqué dans les conditions de la crise née justement du conflit entre le Parti et le syndicat, pouvait-il réussir à mettre fin à cette crise ?
Théoriquement, oui, le Congrès étant – nul n’en disconvient – la plus haute instance du Parti.
Seulement, dans ce genre d’affaire, il est souvent loin de la théorie à la pratique…
Pour que le Congrès puisse se tenir, il est en effet nécessaire de le préparer, tâche qui habituellement incombe au Secrétariat général. Il va sans dire que c’est de l’organisation qui l’aura préparé que dépend la réussite ou l’échec de tout congrès, qu’il soit syndical, politique ou autre. Or, c’est justement là que résidait le problème. Les parties appelées à procéder à la préparation du Congrès étaient elles-mêmes les antagonistes du différend que ledit Congrès était censé trancher. Il fallait donc s’attendre à ce que chacune d’elles s’employât à le préparer de manière à ce que l’issue fût en sa faveur. Est-il besoin de dire, en effet, que la bataille devant se livrer lors de tout congrès, commence toujours dans les coulisses de l’appareil chargé de l’organiser.
Comment a-t-on donc fini par se mettre d’accord sur l’organisation du Congrès ?
De fait, aucun accord n’était envisageable. On finira par convenir d’un compromis fondé sur le dualisme et la parité. L’appareil syndical insistera en effet pour que les congrès régionaux procèdent à l’élection de secrétariats composés à moitié de syndicalistes, et à moitié de militants de l’UNFP, afin que la même proportion fût obtenue lors du Congrès national, contre quoi il fermerait l’œil sur la politisation des travailleurs, et ne poserait pas comme préalable la cessation des activités de ceux – entendre Omar Benjelloune et son équipe – qui, en s’adonnant à cette politisation, portaient atteinte à l’indépendance syndicale. Les préparatifs du Congrès se dérouleront ainsi dans un climat d’émulation et de parité, aboutissant à l’annonce, le 16 avril 1962, de sa tenue les 25, 26 et 27 mai de la même année.
Inutile de préciser que le Martyr Mahdi – qui avait chois l’exil dans le but d’atténuer les tensions qui régnaient au sein du Secrétariat général, en raison des rapports conflictuels qu’il entretenait avec Mahjoub Benseddiq, lui aussi membre du même Secrétariat – suivait ces développements depuis son exil avec le plus grand intérêt. Aussi entreprit-il de rédiger un rapport critique exhaustif sur l’expérience organisationnelle et politique de l’UNFP, qu’il envoya au Secrétariat général, à titre de participation de sa part à l’éclaircissement de la situation, relativement aux questions fondamentales que le Congrès était appelé à régler de manière nette et précise, telles notamment celles de l’organisation, de l’orientation politique et de la perspective révolutionnaire. Mais le Secrétariat général, affaibli par sa crise, pliera aux pressions de l’appareil syndical, occultant ce rapport qui, justement, disait ce que l’on tenait tant à taire, en évoquant sans détour deux points essentiels que tous convenaient de passer sous silence : définir la ligne politique conjoncturelle et la perspective révolutionnaire, et mettre un terme aux problèmes organisationnels devenus chroniques, avec à leur tête la question des rapports entre le Parti et le Syndicat.
2- Des articles interrompus à mi-chemin…
Surnommé l’Autocritique, le rapport de Mahdi sera donc occulté par le Secrétariat général. Mais comme j’en avais moi-même reçu entre-temps une copie – et comme je connaissais la décision du Secrétariat – je projetai d’en faire partager le contenu au reste des militants, en publiant à al-Tahrir, dans le cadre des préparatifs du Congrès, une série d’articles inspirés de cette autocritique.
Me mettant au travail, je commençai effectivement la rédaction des articles, dont le premier, publié le 9 mai 1962 en bas de la première page, avait pour titre : « En préparation du Congrès national de l’UNFP ». Destiné à servir de préliminaire, cet article exposait également une proposition, faite par Youssoufi, de relier ce Congrès à ceux que les Forces populaires et le Conseil national de la Révolution algérienne tenaient respectivement au Caire et à Tripoli en Libye, pratiquement à la même époque.
L’article suivant, intitulé « Réflexions à propos du Congrès », se voulait introducteur de ceux qui devaient suivre. Je le signai par l’expression Ecrit par un ittihadi, afin de ne point engager la responsabilité du Rédacteur en chef, membre du Secrétariat général.
Suivra un article intitulé « L’expérience du pouvoir personnel a désormais deux ans », qui ne sera publié qu’en partie.
De fait, au moment où l’ordre nous parvint du Secrétariat général, nous sommant de « cesser la publication de ces articles, en attendant que nous vous en fassions parvenir d’autres à publier à la place », il n’était plus possible de retirer l’intégralité de l’article : une partie figurait sur la première page qui, déjà composée, était en phase d’impression. Aussi, dûmes-nous nous contenter de retirer la suite, qui devait être imprimée sur une page intérieure, d’autant plus que c’était cette suite justement qui contenait la partie incriminée par le « Secrétariat général », celle inspirée du rapport de Mahdi.
Ainsi, et pour la première fois depuis la parution du tout premier numéro de al-Tahrir, mes articles, qui n’avaient jamais fait l’objet du moindre contrôle, venaient d’être suspendus ! Je dois signaler à ce propos que jamais notre frère Abderrahmane Youssoufi, Rédacteur en chef du journal, n’intervint dans ce que j’écrivais. Quand il m’arrivait de le consulter sur une question, il se montrait le plus souvent favorable à mon point de vue, n’émettant que rarement une légère réserve qui n’appelait nulle rectification. Nous étions en effet tous des jeunes gens qui militions – par le verbe du moins – avec ardeur et ténacité. De même feu Baçri, directeur du journal et responsable légal de ce qui s’y publiait, n’intervint jamais dans mon travail. Il se contentait de me transmettre les informations et de me mettre au fait des réactions des milieux du pouvoir, le reste s’insérant sous la devise : « Allez avec la Bénédiction de Dieu ! »
Si je présente ce témoignage en faveur de Youssoufi et de feu Baçri, c’est bien pour que le lecteur n’aille point leur accorder quelque rôle dans l’ordre de suspension des articles, parvenu du Secrétariat général dont ils étaient tous deux membres. L’ordre émanait en fait de M. Abdallah Ibrahim, alors absorbé dans la rédaction du Rapport idéologique du Congrès, totalement différent, par le contenu comme par la vision, de celui de Mahdi. Il nous fit parvenir en effet, trois jours après la suspension des miens, une série d’articles que nous publiâmes à la place.
Nous reproduisons ici la partie publiée de mes articles, étant entendu que je ne dispose pas de celle qui n’a pu l’être, vu que je rédigeais d’habitude mes articles dans mon bureau au siège du journal, pour les soumettre au fur et à mesure à l’impression.
Le premier de ces articles portait le double intitulé : « En préparation du Congrès national de l’UNFP. Le Congrès de l’UNFP et l’ambiance révolutionnaire qui l’entoure »
En voici le texte :
« Avec la tenue, dans deux semaines, du Congrès national de l’UNFP, le Maroc vivra un événement historique important qui ne laissera certainement pas d’avoir des incidences positives de longue portée. L’importance de l’événement ne découle pas uniquement du fait que c’est là le premier Congrès véritable de l’UNFP – après celui, fondateur, tenu le 6 septembre 1959 – ni seulement de l’importance des sujets qu’il aura à débattre et des résolutions décisives qu’il devra adopter, mais également du cadre spatial et temporel dans lequel ce Congrès se réunit, ce qui fait de lui un Congrès historique et une phase de la dynamique historique en Afrique du Nord, au sens large de cette expression.
Le Congrès national de l’UNFP se tiendra en mai de cette année 1962, que l’on n’aurait pas tort de surnommer le mois des Congrès révolutionnaires en Afrique du Nord, étant donné qu’elle verra se tenir trois Congrès historiques décisifs, l’un en Egypte, le second, ici, au Maroc, et le troisième en Libye.
Au Caire : le Congrès des Forces populaires
La capitale égyptienne abritera, durant ce mois, le Congrès général des Forces populaires de la République Arabe Unie. L’importance de ce Congrès découle du fait qu’il se tient à la suite d’évènements importants – dont notamment la scission de la Syrie – et après une révolution qui, ayant mis un terme à l’ère colonialiste et féodale, se prépare maintenant à entamer à la phase la plus critique dans tout parcours révolutionnaire, celle consistant à organiser les masses populaires et à donner son sens véritable à la révolution qui a délivré le pays du despotisme, du féodalisme et du colonialisme.
L’importance du Congrès des Forces populaires est donc incontestable, au regard des événements que la République Arabe Unie vient de vivre durant ces derniers mois, mais surtout à la lumière des déclarations d’autocritique que le président Nasser n’a pas hésité à faire, à plus d’une reprise, avec le plus louable courage, déclarations suivies d’une campagne d’assainissement, qui permit à l’Etat de mettre la main sur les capitaux et autres possessions que détenaient encore les derniers suppôts du colonialisme, acquis par l’exploitation des masses ouvrières durant les années de despotisme et d’injustice d’avant la révolution. Forts de l’expérience acquise par la République Arabe Unie – tant par ses luttes contre le colonialisme, le féodalisme et les forces de réaction, que dans le domaine du gouvernement et de l’organisation des masses – les dirigeants de ce pays ne manqueront pas, nous le souhaitons ardemment, de faire de cette expérience un gage de réussite pour ce Congrès unique en son genre dans le monde arabe.
Congrès du Conseil national de la Révolution algérienne
A Tripoli se tiendra, vers la fin du mois courant, le Congrès général du Conseil national de la Révolution algérienne, Congrès évidemment de grande importance, étant le premier à se tenir après le cessez-le-feu, et après que la Révolution nationale a accédé au pouvoir en Algérie. Ce sera probablement la première réunion à laquelle assisteront l’intégralité des membres du Conseil national de la Révolution, avec tous ses leaders et ses cadres militants. L’on s’attend donc à ce que ce Congrès engendre un organisme populaire et révolutionnaire, politique et militaire, ainsi qu’un programme général, qui confère à la Révolution algérienne son contenu social et économique, autant dire son identité révolutionnaire. Il ne laissera pas non plus de débattre de problèmes telles les questions des organisations opérant à l’intérieur du territoire algérien, de l’autodétermination, de la déclaration de l’indépendance, de l’accession de la Révolution au pouvoir, entre autres questions se limitant dans le strict cadre des affaires intérieures algériennes ou concernant le Maghreb arabe de manière générale.
Au Maroc : le Congrès de l’UNFP
Au Maroc enfin, se tiendra, du 24 au 28 de ce même mois, le Congrès national de l’UNFP, qui est au fond celui des masses populaires marocaines tout entières. Il n’est guère nécessaire d’insister sur l’importance de ce congrès et sur les circonstances historiques dans lesquelles il se tient. La situation qui prévaut actuellement dans notre pays, les expériences qu’il aura vécues depuis la proclamation de l’indépendance – c’est à dire depuis six années déjà – ainsi que la condition aberrante et inadmissible qui est aujourd’hui celle du peuple marocain, sont autant de facteurs qui confèrent à ce Congrès le caractère du véritable Congrès historique, sur lequel repose une grande responsabilité non moins historique.
Le Congrès de l’UNFP est en effet celui de toutes les masses populaires marocaines, qui livrent courageusement bataille au pouvoir personnel, aux forces de la réaction et du féodalisme et aux derniers suppôts du colonialisme. Les événements que connaît notre pays, et que vit l’UNFP en tant que force politique, sont d’une importance extrême, et nous ne doutons point de ce que les masses populaires, autant que les militants de l’UNFP, sauront faire de ce Congrès une manifestation politique à la mesure de ces événements, tant ceux qui se déroulent à l’intérieur du pays que ceux que connaît particulièrement le Maghreb arabe, et plus généralement le monde arabe et africain.
La maturité de la situation révolutionnaire dans notre pays, autant que l’organisation des bases révolutionnaires en Algérie et en Egypte, font du Congrès national de l’UNFP un Congrès révolutionnaire, se déroulant dans une ambiance tout aussi révolutionnaire. C’est là le secret du caractère historique de ce Congrès, ou plutôt de tous les Congrès que connaîtra l’Afrique du Nord durant les semaines à venir. »
Le second article, publié le 10 mai 1962, était intitulé : « En préparation du Congrès national de l’UNFP. Réflexions à propos du Congrès. »
En voici le texte :
« On n’entend pratiquement plus parler, dans les milieux populaires, que du second Congrès de l’UNFP, dont la date approche de jour en jour. On peut même dire, sans risque d’exagérer, que l’on n’entend pratiquement plus parler, dans les coulisses officielles de l’Etat, depuis les plus hautes sphères et jusqu’au service le plus insignifiant, que du Congrès national de l’UNFP. Tout le monde parle de ce Congrès : le militant, l’adhérent, le sympathisant, les partisans et même les adversaires politiques et les hommes d’Etat. Tous se demandent comment il se déroulera, quels discours on y donnera, quelles résolutions il adoptera, et surtout, ce qui adviendra après. A propos de ce dernier point, les spéculations vont bon train. Ainsi, entendra-t-on dire que le Parti changerait de nom, qu’il deviendrait une organisation agissant au niveau du Maghreb arabe tout entier, qu’il se donnerait un président, se doterait d’un Secrétaire général, postes pour lesquels untel ou untel autre seraient pressentis. Les pronostics engloberont également le contenu du rapport idéologique, et même l’identité de la personne qui en donnera lecture…Tant de rumeurs qui nous parviennent de l’extérieur de l’UNFP, et même parfois des adversaires oeuvrant au service de l’Etat ou voguant dans son sillage.
Pour nous autres, militants de l’UNFP, ces spéculations et autres rumeurs revêtent de l’importance, non en tant qu’informations – étant donné que nul ne saurait être mieux au fait de nos affaires que nous le sommes nous-mêmes – mais parce que ce sont là des signes évidents de l’intérêt que tous, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, nos adversaires compris, portent à ce Congrès.
Cet intérêt naît de l’importance de l’étape historique que traverse actuellement notre pays, et de la conjoncture toute particulière dans laquelle se déroule ce Congrès. Il n’est pas non plus sans rapport à l’étape à laquelle l’UNFP est parvenue, trente-trois mois après sa fondation, ni au fait qu’elle a toujours habitué ses partisans comme ses adversaires à une franchise sans équivoque, tant pour les décisions et communiqués émanant du Conseil national ou du Secrétariat général, que dans les positions du Parti, positions que al-Tahrir se charge d’exposer.
Les gens – qu’il s’agisse d’amis ou d’adversaires de l’UNFP – sont donc tout à fait en droit de se montrer impatients de voir le Congrès se tenir, et de spéculer sur les résolutions et décisions qui doivent en découler. Ce qui en retour importe pour nous, militants de l’UNFP, c’est de nous demander comment nous voudrions que notre Congrès se déroule, et de quelle nature devraient être les décisions et résolutions que nous prendrons à son issue, au regard de la conjoncture historique que nous vivons, tant à l’intérieur des frontières restreintes de notre Maroc que dans celles, plus étendues, du Maghreb arabe, ou celles, encore plus étendues, du monde arabe et africain.
Nous nous devons de passer en revue la vie de notre organisation, de nous remémorer tous les événements qu’elle aura créés ou subis et les batailles qu’elle aura gagnées ou perdues et que le pays tout entier a vécus avec elle, étant donné que l’UNFP, qu’elle fût à l’intérieur ou à l’extérieur du cercle du pouvoir, a toujours été l’acteur principal sur la scène politique nationale. Nous nous devons de nous remémorer la vie de notre organisation – les étapes qu’elle a traversées et les positions et décisions qu’elle aura eu à prendre lors de tel ou tel tournant de sa vie – et puis, et c’est là le plus important, étudier la vie interne et l’organisation de l’UNFP depuis sa fondation et jusqu’à ce jour ; autant dire nous livrer à une autocritique, afin d’être à même d’identifier nos points forts comme nos faiblesses, pour œuvrer à renforcer les premiers et réduire les secondes. Nous sommes tous, militants de l’UNFP, responsables de la force comme de la faiblesse de notre organisation, de ce qu’elle dit comme de ce qu’elle tait. L‘UNFP a en effet toujours été, et continue toujours à être, une organisation décentralisée, où le dernier mot revient aux bases populaires. C’est probablement là un des secrets de la force qui a jusqu’ici permis à notre organisation de triompher des machinations et complots auxquels elle a eu à faire face, mais c’est vraisemblablement aussi une des causes de la faiblesse organisationnelle dont les symptômes apparaissent de temps à autre dans sa marche générale. L’intérêt que notre Congrès suscite, autant chez les amis que parmi les adversaires, ne revêtira sa portée véritable que si nous lui en donnons nous-mêmes une, ce qui ne pourrait se faire que si nous réussissions à incarner la vie de notre organisation – ses batailles et ses péripéties – de manière consciente, susceptible de rendre possible une autocritique qui nous permette de définir la ligne que doit suivre notre Congrès, les résolutions qui doivent en découler, ainsi que l’étape suivante, celle qui doit s’appeler à juste titre l’étape d’après le second Congrès de l’UNFP. »
La troisième article parut, lui, le 13 mai 1962, sous le titre : « En préparation du Congrès national de l’UNFP. L’expérience du pouvoir personnel a deux ans. »
En voici le texte :
« Lorsque se tiendra le Congrès national de l’UNFP, deux années exactement se seront écoulées depuis le renvoi du cabinet Ibrahim et l’instauration de l’expérience du pouvoir personnel direct. Ce sera là, pour les congressistes, une occasion de débattre des résultats de la politique poursuivie par le pouvoir personnel durant cette période.
Si le Congrès n’a pas encore eu le temps de se tenir, il est cependant possible de dégager d’ores et déjà les remarques suivantes :
Lorsque Me. Abderrahim Bouabid quittait son poste de ministre de l’Economie nationale, la balance des échanges entre la le Maroc et la France penchait de cinquante milliards de francs en faveur de notre pays. La réserve de devise s’élevait quant à elle à 120 millions de dollars. Aujourd’hui, un déficit se comptant en dizaines de milliards contraint le gouvernement marocain à recourir à l’aide de la Trésorerie française ;
Les terres encore aux mains des colons étaient, sous le gouvernement Ibrahim, sur le point d’être restituées à leurs propriétaires légitimes. Aujourd’hui, le problème est toujours posé. Pis encore, des négociations ont même été entamées, à la faveur desquelles les Français essaient d’obtenir certaines garanties ;
Les dispositions financières courageuses prévues par le gouvernement Ibrahim, et qui commençaient à conférer au pays une identité financière indépendante en lui faisant quitter la zone du franc français – ce qui lui permit de conserver sa monnaie nationale et de réaliser les épargnes nécessaires au lancement de l’industrialisation – ont depuis lors fait l’objet de « remaniements » qui ont fini par les vider de toute substance ;
Concernant la question mauritanienne, le processus d’autodétermination – naguère prôné par l’UNFP et violemment attaqué par les responsables, qui lui substituèrent une autre politique dont l’échec n’est plus à démontrer – paraît aujourd’hui séduire, comme le laissent entendre les déclarations de certains responsables du pouvoir personnel, telles celles faites récemment par le ministre Allal Fassi à la revue Jeune Afrique.
3- La suspension des articles coïncide avec le retour de Mahdi
L’article s’arrêtait là. Le contexte indique clairement que les propos qui devaient suivre allaient concerner les luttes de l’UNFP – y compris les grèves des travailleurs et fonctionnaires – puis la question de l’organisation, dans la perspective de l’autocritique sur laquelle insistent les articles, comme le lecteur l’aura sans doute remarqué.
Nous interrompîmes donc mes articles pour entreprendre la publication de ceux qui nous parvenaient, non signés, du « Secrétariat général ». Nous apprendrons plus tard qu’ils étaient écrits ou dictés par M. Abdallah Ibrahim, qui avait entre-temps fini de rédiger le rapport idéologique destiné à être soumis au Congrès. Les articles en question, au nombre de cinq, auront pour titre général « À quelques jours du Congrès national de l’UNFP ». Le premier, intitulé « La conjoncture intérieure et arabe dans laquelle se tient le Congrès », reprendra un peu, en lui donnant une teinte marxiste, la substance du premier article de ma série interrompue. Le second, portant le titre « Le flux colonialiste en Afrique : responsabilités de l’UNFP », fera ressortir le rôle joué par l’UMT – et notamment par Mahjoub Benseddiq – au sein du mouvement syndical, mais passera sous silence l’action de Mahdi dans le cadre de l’Organisation de Solidarité afro-asiatique entre autres organisations ouvrières de par le monde.
Le troisième article portait, lui, le titre « L’UNFP n’est pas une force d’opposition. La seule force d’opposition est le pouvoir personnel », en référence à l’époque du gouvernement Ibrahim, lorsque l’opposition à laquelle ce gouvernement avait eu à faire face était menée par une partie des organes de l’Etat. Les deux articles suivants s’intituleront respectivement : « Deux ans après le renvoi du cabinet Ibrahim » ; « Le néo-colonialisme renoue avec les méthodes de son ancêtre ». Le dernier enfin, intitulé « Le Caire, Tripoli et Casablanca : trois Congrès progressistes arabes et africains », reprendra à nouveau la substance de notre premier article, en insistant davantage, pour les raisons déjà exposées, sur le continent africain.
Cette interruption imposée à nos articles, puis la série qui devait les remplacer, prennent une signification toute particulière si l’on se représente que, dans le même numéro (13 mai 1962) de al-Tahrir qui portait la première partie de mon dernier article amputé par l’interdiction, on pouvait lire l’information suivante : « M. Mahdi Ben Barka atterrit à l’aéroport de Salé le jour de l’aïd au matin » Le Martyr, qui rentrait d’un long exil volontaire, sera en effet au rendez-vous le 15 mai, où il trouvera à son attente un comité d’accueil, dont faisaient partie notamment feu Abderrahim Bouabid, feu Baçri, et Abdallah Ibrahim, membres du Secrétariat général du Parti, ainsi que le président du Conseil municipal, les présidents des chambres du Commerce de Rabat, Kenitra et Meknès, de nombreux conseillers communaux ruraux de la région, et une foule de partisans et sympathisants, qui accompagneront tous le grand leader jusqu’à sa maison à Rabat, où l’on veillera tard la nuit.
4- Le second Congrès de l’UNFP : une réussite qui voile un échec !
En choisissant cette date pour rentrer au pays, Mahdi montrait bien son intention de prendre part aux travaux du Congrès. Celui-ci se tiendra effectivement au jour dit, le 25 mai 1962, à la Foire internationale de Casablanca. Le numéro de al-Tahrir du lendemain parera sa première d’une photographie de la séance d’ouverture. A gauche de Mahjoub Benseddiq, président de la séance, se tiennent Mahdi, Youssoufi et Thami Ammar. A sa droite, Abdallah Ibrahim, feu Abderrahim Bouabid et feu Baçri (membres du Secrétariat général), puis feu Maati Bouabid et Mohamed Mansour, respectivement en tant que président du Conseil municipal et président de la Chambre du Commerce de Casablanca. Au milieu, l’invité d’honneur, feu Mohamed Belarbi Alaoui.
Après les discours d’ouverture (allocution de Cheikh al-Islam, suivis des discours d’accueil prononcés par le président du Conseil municipal et celui de la Chambre du Commerce et de l’Industrie), la présentation des délégations etc., l’on en vint à l’ordre du jour : la lecture du rapport idéologique. Les congressistes, à qui ce dernier n’avait pas été distribué, l’attendaient donc avec impatience, d’autant plus que l’assistance avait eu vent de l’occultation du rapport de Mahdi. Abdallah Ibrahim donnera finalement lecture du rapport qu’il avait lui-même rédigé. Longue et ennuyeuse, la lecture ne laissera pas de soulever des signes d’impatience dans la salle.
J’avais pour ma part un problème : celui des titres que j’allais donner – dans l’édition du lendemain, réservée entièrement au Congrès – aux idées principales qu’exposait le rapport. Aussi, demandai-je à Ibrahim de me venir en aide. Il me proposa trois titres, qui allaient tous se retrouver le lendemain sur la première page de al-Tahrir : « Le Maghreb arabe : une seule patrie » (résumant les idées prônant l’unité du Maghreb) ; « La voie est désormais clairement tracée » ; « Nos adversaires sont donc appelés à tirer conséquence de l’histoire. En toute sincérité, nous les invitons à la réflexion ». Sous ces titres, un rapport de presse résumant le mot de Cheikh al-Islam, sous le titre : « Notre unique Seigneur est Dieu, notre Créateur. De Lui et de Lui Seul nous sommes les serviteurs »
Une commission sera ensuite nommée pour procéder au contrôle des cartes des adhérents. Elle ne pourra pas mener cette tâche à bien, tant l’appareil syndical avait noyé les lieux dans un flux ininterrompu de bus bandés d’ouvriers, donnant au Congrès l’air plutôt d’un festival populaire que d’une réunion politique.
Les séances publiques se poursuivront donc. On soumettra d’abord le rapport idéologique à un débat général, suite à quoi une « commission de discussion du rapport idéologique » sera nommée, avec la charge de présenter un rapport sur ce rapport !
De nombreux congressistes voudront faire partie de cette commission ; les membres seront finalement nommés selon les zones d’où ils provenaient, mais également selon leur appartenance à l’UMT, au Parti, aux organisations étudiantes ou à la Résistance.
Voici la composition de la commission : Pour la province de Rabat : Thami Azemmouri, Abdelouahed Radi, Abderrahmane Kadiri, Abdellatif Belkadi, al-Mekki Zougagh, Hachmi Bennani, Abdelfettah Sebata, Abdelkerim Benslimane et Ibrahim Nadifi ; pour Casablanca : Omar Benjelloune, Mohamed Mansour, Houcine Ahejbi, Abdelhaq Alami, Abdelhay Laaraqi, Ahmed Bouzide et Mohamed Tahiri ; pour la branche de l’UNFP à Paris : Mohamed Yazghi ; pour les étudiants : Mohamed Farouqi ; pour Tétouan : Mohamed Lamrani ; pour Agadir : Mohamed Habib Forqani ; pour Tanger : Larbi Chentouf ; pour Marrakech : Hadi Belqadi et Driss Toghraï. La commission, dite première commission, élira comme président Mohamed Mansour, et comme rapporteur général Mahjoub Benseddiq. Aussi animée au sein de cette commission qu’elle l’avait été lors de la séance publique, la discussion du rapport idéologique se déroulera dans un climat d’irritation et d’amertume, la plupart des congressistes reprochant au rapport son caractère « général et rhétorique » et « l’absence de toute analyse politique ou idéologique précise. »
La présidence de la séance matinale de la seconde journée sera assurée par Abderrahmane Youssoufi, tandis que Abderrahim Bouabid se chargera de la présentation du rapport politique, rédigé par Youssoufi lui-même et par l’auteur de ces lignes. Cette fois-ci, des copies du rapport ayant été distribuées aux congressistes bien avant la tenue de la séance, feu Bouabid s’abstiendra d’en donner lecture, se contentant d’en exposer l’essentiel, démarche vivement appréciée par l’assistance, qui y verra une forme de ce que l’exposition du rapport idéologique aurait dû être. Par ailleurs, l’exposé de feu Bouabid, autant que les réponses qu’il apportera aux questions des intervenants, seront très bien accueillis, notamment pour la franchise dont il fera preuve en abordant certains thèmes, tels ceux de la démocratie, du caractère absolu que revêtait le pouvoir en place au pays, ou encore du socialisme. Une commission, dite seconde commission, sera ensuite formée pour débattre du contenu du rapport politique. En répondant aux questions, feu Bouabid insistera notamment sur les axes suivants : la situation du Mouvement féminin dans la lutte que menait l’UNFP, les problèmes de l’organisation et de la constitution, et enfin la question mauritanienne. S’agissant de ce dernier point, Abderrahim soulignera que « le peuple mauritanien désire réintégrer la Patrie mère ; seulement, cela ne sera possible que s’il l’on parvient à changer autant les régimes que la mentalité qui persiste à présenter la Maurétanie sous le jour d’une zone féodale où des seigneurs, après en avoir pour un temps perdu le contrôle, désirent récupérer esclaves et biens »
La séance tenue dans l’après-midi de la même seconde journée, présidée par feu Baçri, sera consacrée aux rapports des commissions. Le Martyr Mahdi présentera ainsi les résultats des travaux de la troisième commission, chargée de débattre du rapport organisationnel. Dans son allocution, sur laquelle nous reviendrons dans le prochain numéro de cette série, Mahdi s’attardera sur la question de l’organisation, qu’il traitera dans le sens du rapport qu’il avait lui-même adressé au Secrétariat général avant le Congrès. Abderrahim Bouabid présentera les résultats des débats de la seconde commission, et Mahjoub Benseddiq les résultats des travaux de la première, suivi encore de Mahdi, qui annoncera la liste des membres des instances responsables du Parti. Voici cette liste, constituée pour une moitié de membres de l’appareil syndical, et pour l’autre de militants du Parti :
Secrétariat général : MM. Mohamed Baçri, Abdallah Ibrahim, Mahdi Ben Barka, Abderrahim Bouabid, Mahjoub Benseddiq, Abderrahmane Youssoufi, Maati Bouabid, Thami Ammar, Mohamed Abderrazzak et Mohamed Mansour ;
Comité administratif national : en plus des membres du Secrétariat général, MM. Houcine Ahejbi, Mahdi Alaoui, Abdelkader Aouab, Omar Benjelloune, Hachemi bennani, Mohamed Habib Forqani, Abdallah Ouazzani, Mohamed Meknassi, Mohamed Bensaïd, Ahmed al-Rahim, Mohamed Tahiri, Dr. Belmokhtar, Alami Guerraoui, Mokhtar Haj Nasser, Nasser Belarbi, Omar Mesfioui, Driss Medkouri et Mohamed Fechtali.
Toutefois, sa composition ayant soulevé une vague de mécontentement parmi les cadres du Parti, cette seconde commission restera gelée, d’autant plus que les membres qui la composaient étaient eux-mêmes les acteurs de la lutte qui se livrait, lutte que reflétait l’ordre même dans lequel les noms des membres sont édictés, ceux des militants du Parti alternant avec ceux des éléments de l’appareil syndical.
Afin d’occulter la dissension que reflétait cet état des choses, l’on procédera à la constitution de deux nouveaux appareils. Le premier, dit Comité central, sera composé, en plus des membres du Comité administratif national, de délégués nommés par les organes provinciaux, à raison d’un représentant par province, exception faite de Rabat et Casablanca, dotées respectivement de deux et de trois représentants. Le second appareil, ou Conseil national, également dit le parlement de l’UNFP, sera quant à lui formé, en plus des membres du Comité administratif national et des représentants des provinces, des militants dont voici les noms : MM. et Mmes. Dr. Abdellatif Benjelloune, Dr. Mahdi Benaboud, Mostafa Belarbi Alaoui, Ghali Laraki, Abdelhay Chami, Dr. Hassan Lahbabi, Abdelhay Laraki, Abdallah Sanhaji, Abbas Kabbaj, Mohamed Tibari, Mohamed al-Baraka, Caïd Larbi, Mohamed Lahbabi, Mohamed Bensaïd, Bensaïd Yahyaoui, Ali Bouaïda, Hamid Sebti, Abdelkerim Slimane, Mohamed Faroqi, Mohamed Bahi, Abed al-Jabri, Dr. Chami, Mahdi Slimani, Mohamed Bouiba, Mohamed Tahiri, Mohamed Touzani, Mohamed Didichou, Abdelhaq Benbrahim, Mohamed Laraqi, My Abderrahmane Alaoui, Mohamed Benqlilou, Haj Saïdi, Mohamed Oulhaj, Mohamed Tber, Abdelkader Sahraoui, Mohamed Yazghi, Omar Ibrahim, Abdelhak Alioua, Abdelfattah Sebata, Bouchaïb Doukkali, Ibrahim Troust, Abdennabi Tajammouaati, Omar Bennouna, Ahmed Bouzide, Ahmed Ibrizi, Abdelhak Alami, Ahmed Chaker, Mekki Argaf, Hassan Zemmouri, Mohamed Barouaa, Abdelouahed Radi, Abdessamad Kenfani, Thami Ammour, Driss Sinaï, Mostafa Mouaffaq, Seddiq Gherras, Mohamed Harakat, Bouchaïb Rifi, Noujoum, Mohamed Kettane, Driss Seghrouchni, Abderrahmane Kadiri, Ahmed Cherkaoui, Mohemmed Zniber, Marwane, Mohamed Benlefqih, Haj Moussa, Saïd, Amina Ammour, Khadija Medkouri, Zhor Ouariachi, Hafida Bouanane, Abdallah Beqqali, Abdellatif Belqadi, Bachir Figuigui, Ibrahim Baamarani.
Enfin, la commission de contrôle des comptes, composée de MM. Hassan Safi Eddine, Mostafa Chams Eddine et Abdallah Baaqil, les membres de la commission d’arbitrage étant MM. Thami Nouamane, Souhaïli et Bouhmidi.
Il va sans dire que cette instance élargie reflétait également le même souci d’équilibre entre militants du Parti et éléments de l’appareil syndical, avec toutefois la présence de personnalités se positionnant hors de la lutte engagée entre le Parti et le syndicat, car n’évoluant pas dans le cadre des rapports entre les deux instances.
Concernant les résolutions prises par ce Congrès, elles ne différeront guère de celles adoptées antérieurement. Au contraire, le ton s’en trouvera plutôt adouci, du fait de la formulation rhétorique et des expressions vagues qui marquaient cette fois-ci les résolutions en question. Celle dite résolution idéologique reprenait en effet, en le résumant, le rapport idéologique, en insistant sur l’abandon de l’option capitaliste, et sur le fait que la socialisation des moyens de production est le seul moyen d’échapper à la dépendance et au sous-développement, sachant que la bataille pour la démocratie et celle visant à la restitution du pouvoir au peuple, s’imposent objectivement comme des tâches urgentes et primordiales. Le Rapport politique se contentera pour sa part de rappeler la résolution du Conseil national, adoptée le 14 avril 1960, qui insiste sur la nécessité d’organiser des élections générales, en vue de la formation d’une Assemblée constituante , pour proclamer qu’il n’y a nul autre moyen de sortir de l’impasse du pouvoir personnel, que l’institution d’un gouvernement jouissant de la confiance des masses populaires, qui se chargerait de l’organisation d’élections libres devant aboutir à la formation d’une Assemblée constituante, en vue d’élaborer le texte de constitution devant régir le pouvoir et répondre aux attentes populaires de démocratie économique, sociale et politique.
L’on peut donc dire que, vu de l’extérieur, le Congrès sera un succès, d’autant plus que d’éminentes personnalités arabes et étrangères y auront assisté. Mais au regard des problèmes organisationnels et des résolutions qu’il aurait dû adopter dans cette conjoncture politique précise, il était bien loin d’avoir atteint ses objectifs. Il se révélera être au contraire une occasion où la lutte entre le Parti et l’appareil syndical éclatera au grand jour, prenant souvent l’aspect d’un différend opposant entre elles certaines personnes. Abstraction faite de ce qui advenait lors des réunions « secrètes » que tenaient les dirigeants, la lutte se fera également sentir lors des rencontres plus élargies. C’est ce qui advint par exemple durant une réunion générale à laquelle j’assistai moi-même. Comme je me tenais entre Mahjoub Benseddiq et Mahdi Alaoui, les deux hommes, entamant une violente altercation, en vinrent rapidement aux mains, attirant de l’attention de nos voisins sur l’estrade. L’incident faillit dégénérer, causant gêne et embarras à l’égard des congressistes comme des invités, si je n’étais intervenu, tirant discrètement Benseddiq au loin.
Cet échec se reflètera par ailleurs – in absentia, si l’on peut dire – sur les pages de al-Tahir : aucun éditorial, aucun Bonjour, aucun article analytique n’auront pour sujet les résultats du Congrès. Le journal s’intéressera aux développements de l’affaire algérienne et autres informations internationales. Une seule fois il sera fait mention du Congrès, lorsque la rubrique Bonjour dénoncera les harcèlements et autres poursuites policières dont les délégations étrangères s’étaient plaintes. Quelques semaines plus tard, nous recevions une série d’articles intitulée « La Doctrine (du parti) : Pourquoi ? », puis d’autres articles sur « la réforme agraire ». Tous nous étaient envoyés par des parties relevant de l’UMT.